Caméras de surveillance à Galatina

di Gianluca Virgilio 

Le flâneur est avant tout un voyeur. Évidemment, pas le malade qui se cache derrière une haie pour saisir quelque scène illicite et lubrique propre à satisfaire une passion impudique, mais le détenteur d’une saine curiosité qui s’exerce par la vue. Quel sens y aurait-il à se promener dans les rues d’une ville les yeux fermés, sans goûter le plaisir exquis de voir, sans avoir, en somme, l’idiosyncrasie propre au voyeur ? Dans les rues des villes, qu’il soit attiré par le vague scintillement d’une vitrine, un détail architectonique jamais vu auparavant, un raccourci insolite qui s’ouvre après une rangée de maisons au bout d’une rue créant l’illusion d’une ville sans fin, ou simplement surpris par un beau visage de femme, une nouvelle coiffure, une toilette à la page, le flâneur-voyeuraffirme son droit de voir, incoercible et inattaquable. Il se déplace au coeur de la vie citadine, pénétrant du regard le cours normal des choses, sans s’en laisser pénétrer ni entraîner, sans être vu – le voyeur contrairement à l’exhibitionniste ne supporte pas le regard d’autrui – . Pour les autres, il serait même l’absent, s’il n’était doté d’un corps que des désirs portent d’une rue à l’autre de la ville. Le flâneur-voyeur est l’homme libre par excellence, son regard ne se projetant sur aucun point fixé une fois pour toutes, et il se nourrit d’images occasionnelles, excentriques, oniriques, dans un songe qui se compose de nombreuses particules de réalité soustraites à leur fonctionnalité, à leur usage quotidien.

Bon, il va de soi que je ne parle pas ici des forçats du shopping ! Mais de qui alors, de Charles Baudelaire, de Walter Benjamin ? Non plus, nous sommes en 2007 ; qui peut bien aujourd’hui faire un tour en ville dans le seul but de regarder ? Des excentriques, des grévistes, un chômeur professionnel, un retraité ? On sort – peut-on encore parler de sortir ? – dans un but précis, pour acheter ou pour vendre, pour se vendre aussi, comme autrefois les paysans devant l’octroi. Alors, dans cet achat-vente qu’est notre vie, il est bon que nous soyons tous en sécurité et en confiance, n’est-ce pas ?

« Zone vidéosurveillée » : c’est ce qu’on lira peut-être bientôt sur de nombreux panneaux du centre-ville de Galatina, si  l’on en croit l’information parue récemment dans les quotidiens locaux. Finalement, même Galatina aura ses caméras de surveillance, comme tant d’autres villes plus grandes et plus modernes que la nôtre ! Des villes à usage touristique ! Les touristes apportent de l’argent, achètent et paient bien, que veut-on de plus ?

S’il existe encore quelque flâneur-voyeur forcené, ce dont je doute beaucoup, dorénavant il sera vu et surveillé. On l’autorisera à voir, mais pas sans la terrible conscience d’être vu ; ainsi, des caméras prévues  pour dissuader voleurs, trafiquants, délinquants et vandales feront de lui un aveugle. L’unique dépositaire du droit de voir sans être vu, l’unique voyeur pervers sera dorénavant l’autorité constituée, peut-être en la personne innocente d’un agent de police enfermé dans son bureau et assis devant une rangée d’écrans, prêt à donner l’alerte au moindre événement délictueux.


Dans la meilleure des hypothèses, le flâneur-voyeur devra aller, en compagnie des individus louches cités plus haut, assimilés à eux, dans d’autres parties de la ville, quartiers à part ou périphérie ; là il pourra continuer à exercer son sens de la vue sans courir le risque d’être observé par une caméra de surveillance.

Le monsieur respectable avec « Il Quotidiano » sous le bras se sentira protégé, la vieille dame portera son sac avec désinvolture, la bourgeoise exhibera son plus beau bijou sans crainte, et le touriste, véritable patron de nos centres historiques plus ou moins restaurés pourra se promener, nez en l’air et bouche bée, admirant nos stupéfiantes fantaisies baroques, avec la certitude d’être vu. La mode du centre-ville vidéosurveillé assure à tous ceux qui s’y trouvent une visibilité à bas coût, dispensée par les autorités publiques qui ont elles-mêmes le culte de la visibilité ; de sorte qu’elles garantissent au touriste de passage comme au citadin occupé à faire du shopping, que dans leur promenade ils évolueront dans le décor d’un plateau de cinéma où rien n’arrive jamais par hasard mais toujours selon la volonté d’un metteur en scène attentif. Nous nous sentirons donc tous parfaitement en sécurité sous l’oeil protecteur des caméras, car dans une fiction où chacun est appelé à se montrer, jamais personne ne s’est fait mal pour de vrai. Et tant pis si nous devrons bannir toute idiosyncrasie : il faudra toujours marcher droit et convenablement, surtout pas trébucher sur le pavement disjoint de la place sous peine de passer pour ivre ; surtout pas se fourrer à la hâte le doigt dans le nez, même si l’on est pris du prurit le plus aigu causé par les gaz d’échappement des voitures qui empuantissent l’air ; surtout pas remonter son pantalon, si lors d’un slalom entre les autos, à cause d’un mouvement maladroit du corps, on l’a malheureusement senti descendre un peu    au-dessous de la taille ; et que dire de l’antique rituel galant fait d’approches et de regards pleins de délicatesse et de retenue sur la promenade du tour de la villa grande ? Mes enfants, allez vous courtiser ailleurs. Ici, on vous regarde ! Mais moi, j’oublie que cela aussi fait maintenant partie de votre jeu !

(2007)

(Traduzione di Annie et Walter Gamet)

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