di Giorgio Agamben

Dans mes interventions précédentes j’ai évoqué à plusieurs reprises la figure de la vie nue. Il me semble en effet que l’épidémie montre sans aucun doute possible que l’humanité ne croit plus en rien, si ce n’est en l’existence nue à préserver en tant que telle à n’importe quel prix. La religion chrétienne avec ses œuvres d’amour et de miséricorde et sa foi jusqu’au martyr, l’idéologie politique avec son inconditionnelle solidarité, même la confiance dans le travail et l’argent, tout semble passer au second plan dès que la vie nue est menacée, quand bien même ce serait sous la forme d’un risque dont l’importance statistique est faible et volontairement indéterminée.
Il est temps de préciser le sens et l’origine de ce concept. Il faut pour cela rappeler que l’humain n’est pas quelque chose qui puisse être défini une fois pour toutes. C’est plutôt le lieu d’une décision historique constamment remise à jour, qui fixe à chaque fois la ligne de séparation entre l’homme et l’animal, entre ce qui est humain dans l’homme et ce qui en lui et hors de lui ne l’est pas. Quand Charles de Linné cherche pour ses classifications le trait caractéristique qui distingue l’homme des primates, il doit avouer qu’il ne le connaît pas, il finit par apposer à côté du nom générique homo le vieil adage philosophique nosce te ipsum, connais-toi toi-même. Le terme sapiens que Linné ajoutera dans la dixième édition de son Système de la nature a la même signification : l’homme est l’animal qui doit se reconnaître humain pour l’être, et doit pour cela séparer – décider – ce qui est humain et ce qui ne l’est pas.