La vérité et la honte

di Giorgio Agamben

Après tout ce qui s’est passé ces deux dernières années, il est difficile de ne pas se sentir en quelque sorte diminué, et qu’on le veuille ou non, de ne pas éprouver une espèce de honte. Non pas la honte que Marx définissait comme « une sorte de rage tournée vers soi-même », dans laquelle il entrevoyait une possibilité de révolution. Il s’agit plutôt de « la honte d’être des hommes » dont parlait Primo Levi à propos des camps, la honte d’avoir vu se produire ce qui n’aurait pas dû se produire. C’est une honte de cette sorte – on l’a dit à juste titre – que, toutes proportions gardées, nous éprouvons face à une vulgarité trop grande, face à certaines émissions de télévision, aux visages de leurs animateurs, au sourire satisfait des experts, des journalistes et des hommes politiques qui en toute connaissance de cause ont approuvé et diffusé contre-vérités, mensonges et abus – et continuent impunément à le faire. Quiconque a éprouvé cette honte sait qu’il n’est pas devenu meilleur pour autant. Au contraire, comme avait coutume de le répéter Umberto Saba, il sait « qu’il est beaucoup moins que ce qu’il était avant » – plus seul, même s’il a recherché des amis et compagnons, plus muet, même s’il a tenté de témoigner, plus impuissant, même si sa parole a été écoutée. Ce qui cependant n’a pas été perdu, et même de manière inattendue a été gagné, c’est une certaine proximité avec une chose à laquelle on ne parvient pas à donner d’autre nom que « vérité », la capacité de distinguer le son de ce mot que vous ne pouvez que croire vrai, si vous l’entendez. Pour cela et de cela il peut témoigner.  Il est possible – mais pas certain – que le temps, comme le veut l’adage, finisse par dévoiler la vérité et, peut-être un jour, lui donner raison. Mais ce n’est pas cela qu’il a pris en compte pour témoigner. Ce qui l’oblige à témoigner sans cesse, c’est plutôt justement cette honte d’être malgré tout un homme – comme sont aussi malgré tout des hommes ceux qui, par leurs mots et par leurs actes, l’ont contraint à éprouver la honte.

24 janvier 2023

[Traduzione di Annie Gamet di Giorgio Agamben, La verità e la vergogna, in Una voce. Rubrica di Giorgio Agamben, Quodlibet]

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