Jusqu’à il y a quelques années, on nous expliquait que l’Europe en cours de construction politique et économique, soutenait de tout coeur la « formation continue ». La prenant comme modèle dans les pays où elle était mise en place, les conseillers en formation, dans les années quatre-vingt-dix, nous expliquèrent qu’il fallait cesser de considérer la formation comme liée à l’école ou à l’université, à l’enfance ou à la jeunesse. Nous étions promis à un avenir où tous ceux qui travaillent, s’ils voulaient continuer à travailler, retourneraient apprendre autre chose. C’était à eux de le faire. Parce que l’époque de la formation professionnelle accomplie une fois pour toutes, comme celle du travail fixe qui dure une vie entière, c’était bien fini. Toute l’organisation du savoir et de la diffusion des connaissances devait devenir plus flexible, plus apte à imprégner des figures sociales étrangères au monde restreint de la formation scolaire et universitaire. Il s’agissait non seulement de cours de mises à niveau, mais aussi de la diffusion sociale des connaissances. On nous en a organisé des conférences, des réunions, des séminaires, sur ce thème en Europe, parce qu’était en jeu la croissance des capacités de la force de travail, donc la croissance de la capacité de produire et d’augmenter les richesses de toute une partie du monde.
Bien. Là nous nous sommes frotté les mains et dit : ce n’est pas si mal finalement, qu’à un certain moment, quand on en a assez de ce qu’on fait, on nous renvoie un tant soit peu apprendre autre chose, ou même qu’on nous oblige à regarder autrement notre façon de travailler. C’est même l’occasion de nous en réjouir, si grâce à la compréhension d’un certain aspect du travail, on peut faire machine arrière et remédier à un défaut qu’on n’avait pas vu. On avait bien compris qu’il ne s’agissait pas d’une entreprise philanthropique, que l’objectif de la « formation continue » était de toute façon de faire tenir debout la baraque du travail, de la productivité, bref du capitalisme. Nous ne pensions pas que c’était la révolution. Pourtant, pour une fois, nous avons pensé que c’était là quelque chose qui nous allait mieux que d’habitude. Il était admis que la richesse sociale dépendait de l’intelligence sociale en mesure de la produire. Les gros malins, eux, se disaient : eh bien ! Il faut en tirer profit, de cette affaire-là, et pour en tirer profit, il faut la généraliser.