Quaderno di traduzione 15. Le chien sauvage

di Gianluca Virgilio

Disegno di Luisa Coluccia

Soudain, au pied de l’aulne, il lui sembla de nouveau flairer sa propre odeur parmi les feuilles, comme si le temps s’était arrêté, comme si la terre lui apportait la preuve, à tort, qu’il ne s’était réellement rien passé.

Il avait retrouvé un lieu connu, traînant une patte ensanglantée, épuisé après une longue errance à la recherche d’un abri, tandis qu’un épais brouillard enveloppait les rochers, les arbres et les buissons sur les montagnes désolées. Les chutes de neige allaient être abondantes. Le chien ressentit la morsure des premières gelées qui semblaient suspendre et figer toute chose. Il revoyait la main du maître faire les gestes qui d’ordinaire le rendaient triste ou heureux et qui, inhabituels cette fois-là, ne lui avaient pas permis de comprendre ses intentions ni ses ordres. Celui-ci, deux mois auparavant, l’avait déchargé de l’auto, l’abandonnant étendu par terre, ligoté comme un chevreau destiné à l’abattoir.

Il l’avait déchargé sous l’aulne encore feuillu au début d’octobre, à demi ligoté pour l’empêcher de se libérer et avoir le temps de s’éloigner en auto par-delà la montagne et ses fourrés. Le chien s’était donc détaché trop tard de ses liens, qu’importe, il avait essayé de le poursuivre à travers frênes et sorbiers, hêtres et chênes pubescents, charmes et bouleaux encore verdoyants dans l’après-midi ensoleillé d’octobre. Il avait bien vite perdu la trace, embrouillé par des odeurs nouvelles et inconnues d’herbes qu’il n’avait jamais flairées auparavant. Puis, la nuit venue, épuisé par la vaine poursuite, il s’était arrêté sous un rocher dans l’attente de celui qui ne viendrait pas.

La solitude de ce lieu lui avait provoqué un tremblement des membres et de mystérieuses peurs face à d’invisibles dangers. Dans le bois, à cette heure nocturne, le silence était vraiment effrayant. À l’aube, il avait entendu au-dessus de lui le cri d’une crécerelle et il avait repris courage. Puis d’autres cris inconnus dans les airs et le bruissement d’une fouine dans les feuilles du sous-bois ou d’un écureuil dans les branches des arbres. Il avait compris qu’il n’était pas seul.

Il avait bu à une cascatelle qui dévalait bruyamment de la montagne, se mouillant tout le pelage. Alors, pour la première fois, les affres de la faim s’étaient fait sentir. Nulle part dans le bois, il n’allait trouver d’écuelle pleine de nourriture, mais seulement des proies en mouvement qu’il allait devoir chasser. Il s’était épuisé à poursuivre un faisan qui semblait se jouer de lui, car à chaque assaut du chien, l’oiseau s’envolait sur des distances courtes mais suffisantes pour parer l’attaque. À la fin, le chien avait eu le dessus et avait mangé la chair saignante de l’oiseau, en veillant à éliminer les nombreux plombs qui avaient blessé l’animal et l’avaient rendu par trop vulnérable. Mais le sort ne lui avait pas toujours été aussi favorable. En vain, il avait donné l’assaut à un renard et à une fouine, sans les reconnaître comme ses rivaux, et un blaireau avait même réussi à trouver refuge dans un inaccessible terrier du sous-bois. Un cadavre de chevreuil l’avait rassasié pendant une semaine, mais par la suite, cette réserve de nourriture s’était aussi épuisée, et le chien avait dû chercher une autre proie, et puis une autre encore, souffrant jour après jour de la faim qui le rendait inquiet et de plus en plus sauvage.

Ce soir-là, avant que les nuages n’aient précipité leur poids de neige sur les arbres, il avait perçu un bruit de débroussaillage à peu de distance dans le sous-bois. Un garçonnet d’une dizaine d’années, une branche élaguée à la main, se frayait un chemin entre les arbustes, en les frappant sans pitié. Il lui rappelait la cruauté gratuite de son petit maître quand celui-ci le menaçait avec un manche à balai jusqu’à le faire grogner de peur, dans la cour de la maison et finissait par le battre durant d’interminables après-midi pendant lesquels on le laissait seul à sa merci, sans possibilité de se libérer de la chaîne à laquelle il était attaché. Agitant son bâton en l’air, le garçonnet frappait les jeunes arbustes, ronces et noisetiers, jusqu’à en rompre les cimes les plus tendres, l’une après l’autre, tout en avançant vers le chien sans s’apercevoir de sa présence. Tout à coup, le chien lui avait fait face avec un grognement féroce et sauvage, le menaçant de ses affreux crocs blancs. Un frisson de terreur avait parcouru les membres du garçonnet. C’est pour cela que le maître l’avait abandonné deux mois auparavant, quand il l’avait surpris à grogner contre son enfant. Pourtant, à cette époque-là, jamais le chien n’avait eu l’idée qu’on puisse attaquer qui que ce soit, même pas cet enfant méchant au moment où il l’avait blessé avec le tisonnier de la cheminée, au point de le faire boiter durant de nombreux mois. Jamais. Mais à présent, les blocages de l’inhibition s’étaient évanouis, la faim brisait tout lien et l’instinct de survie faisait de lui un prédateur. L’enfant restait immobile devant le chien, et le chien était déjà sur le point de bondir sur sa proie quand un coup de fusil tiré en l’air avait retenti dans les parages et l’avait mis en fuite ; et dans la fuite, un second coup l’avait blessé à la hanche, irrémédiablement.

La neige tombait dru sur le bois rendu au silence et à l’obscurité. Le chien revit la cour ensoleillée de sa maison, l’écuelle toujours remplie, le regard heureux de son maître ; il revit aussi la pointe menaçante d’un bâton, une tige de fer effilée, la main inexpressive de celui qui ne prendrait plus soin de lui. À présent, le gel apaisait même la douleur de la blessure, en arrêtant le flot de sang, mais il s’insinuait également dans les membres indemnes et les engourdissait lentement. Alors, il fut content de se retrouver par hasard sous l’aulne désormais chargé de neige, à l’endroit où le maître lui avait ordonné d’attendre, parce que, tôt ou tard, il reviendrait le chercher pour l’emmener avec lui. Et il n’y aurait plus d’enfant excité contre qui grogner, cet enfant resterait dans le bois, à sa place, tandis que lui retournerait dans la cour avec son maître.

Heureux, il ferma les yeux et s’endormit. La neige, ensuite, fit le reste.

(Traduzione dall’italiano di Annie e Walter Gamet)

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