Zibaldone salentino (extrait 21)

La vie. Définition de la vie comme un état transitoire, une régénération  perpétuelle, ou plutôt une incessante et continuelle transformation, un état déterminé par un passage du néant d’où nous provenons vers le néant où nous allons. Du néant au néant : c’est juste entre les deux qu’est la vie (la vie comme intermède) et avec elle, la conscience de l’être vivant qui se retire face à sa propre mort, au néant, sans toutefois réussir à se soustraire à l’inéluctable métamorphose qui le conduit exactement là. La conscience est fille de la peur du néant d’où nous venons et où nous allons. Tous les êtres vivants sont égaux dans ce retrait face au néant, auquel chacun oppose sa propre adaptation, sa propre transformation, ses propres passions, comme dans une tentative désespérée de tromper la métamorphose suprême qui arrive au moment de la mort. Ainsi le néant est-il toujours gagnant, mais après d’épiques batailles de transformation de l’être vivant, qui finit par prendre conscience que ses passions n’ont fait que le tromper et le consumer.

Rencontre. Nous faisons un tour dans les rues de Turin, Ornella et moi, et nous demandons un renseignement à une femme rencontrée là par hasard. Avant de répondre, elle nous demande d’où nous venons ; apprenant que nous sommes de Lecce, elle dit aussitôt dans un élan d’enthousiasme qu’elle est albanaise. “Depuis Otrante, par beau temps, on voit les montagnes de Vlora !” lui dis-je. Nous ne nous connaissons pas, mais notre rencontre dans un lieu si éloigné de chez nous semble nous réjouir tous les trois, nous qui au fond sommes voisins.

Le désir de s’évader du cadre habituel est la première motivation d’un voyage d’agrément. On souhaite s’évader, parce qu’on n’est pas satisfait de la vie ordinaire, il y a en elle quelque chose d’aliénant. On ne fait jamais ce que l’on veut, ni ce dont on a vraiment envie, on fait seulement ce que l’on doit faire. Le lieu que l’on habite n’est pas vraiment à soi, à cause de la nécessité d’y être pour accomplir son devoir. Voyager signifie donc aller vers un temps et un espace soustraits à la contrainte. Et déjà le simple fait de projeter un voyage produit sur le psychisme une forte impression de libération.

Liberté. Le mot ne représente pour moi que le premier des trois mots d’ordre de la révolution française : liberté, égalité, fraternité. Principes sacro-saints autant que velléitaires, mots vides de contenu précis, d’objectifs réalisables et de réalité vérifiable. La liberté comme droit inaliénable de l’homme, à l’égal des autres droits pour lesquels les hommes combattent et meurent, en les sacrifiant à un pouvoir qui les concède pour de brèves périodes, par crainte de la révolte et de la haine des masses, et les reprend aussitôt, en cas de guerre, contre la menace terroriste, pendant une crise sanitaire. Mais y eut-il jamais dans l’histoire humaine un moment sans la guerre, sans la terreur qui serre le cœur des hommes, sans les maladies qui  frappent l’humanité ? L’homme n’a jamais été en sûreté ! C’est pourquoi quand on me parle de liberté, mon diapason interne me signale une fausse note, ce qui ne m’arrive jamais quand, au lieu du mot liberté, j’entends prononcer celui de nécessité.

Conversation avec un octogénaire. Notre entretien porte sur les conditions d’hygiène de la maison paysanne avant-guerre, donc jusqu’au début des années quarante du XXe siècle. Aucune maison ne disposait d’une pièce spéciale pour les toilettes, alors on mettait un canthare en terre cuite sous l’escalier ou dans quelque endroit étroit non utilisé. Il était vidé une fois par jour et son contenu servait toujours à la fertilisation des champs. À proximité, tenue par un crochet, pendait “la pezza”, c’est-à-dire un bout de tissu de récupération, provenant de la découpe de vêtements relégués après des années et des années de service. La “pezza” avait pour fonction spécifique d’enlever les éventuels fragments d’excréments du postérieur des utilisateurs du récipient ; c’était en quelque sorte l’ancêtre de notre papier hygiénique moderne. Quant au bidet, l’idée qu’on se faisait d’un tel équipement restait vague, liée au péché, touchant d’un peu trop près les maisons de tolérance à la française. Ce n’est qu’à la fin des années cinquante qu’on commença à se servir de papier hygiénique, toujours avec parcimonie. Que celui-ci soit le fruit de la modernité, c’est une évidence puisqu’on le jette aussitôt après usage, contrairement à la “pezza” utilisée par un nombre indéterminé de personnes, toujours élevé dans une famille paysanne, et, me dit l’ami octogénaire, jusqu’à ce qu’il ne reste plus un seul petit coin de tissu propre ; alors seulement, une femme de la maison procédait au lavage de la “pezza” et à son remplacement par une nouvelle.

[Traduzione di Annie Gamet]

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